Plogoff, Creys-Malvile, Superphénix, EPR, ça vous dit quelque chose ? Petit tour dans l’histoire des luttes anti-nucléaires en France… La mobilisation contre le nucléaire démarre au lendemain de la seconde guerre mondiale et du lancement des deux bombes atomiques sur Hiroshima et Nagasaki. A cette période et jusqu’au années 60, ce mouvement est avant tout un mouvement pacifiste. C’est à partir des années 70 et avec le développement du nucléaire civil que les préoccupations environnementales prennent une importance croissante. Première manifestation de 1 500 personnes contre la centrale de Fessenheim en avril 71. En juillet 71, une marche pacifique réunit 15 000 manifestants à la centrale de Bugey.
Superphénix
Le projet de la centrale de Superphénix est le fruit d'une collaboration internationale française (51%), italienne (33%) et allemande (16%). À l'origine, un réacteur devait être construit dans chaque pays partenaire mais seul Superphénix a vu le jour.
En juillet 76, 20 000 personnes viennent pour un sit-in pacifique à Creys-Malville contre l’implantation du Superphénix :
"Malville. porte de la mort", "Mort au Phénix", "Nous voulons vivre ", peut-on lire sur les banderoles des manifestants antinucléaires qui sillonnent la plane campagne de Creys-Malville en ce début de juillet 1976. Cette petite commune agricole de 400 habitants devient en quelques jours le théâtre d'un rassemblement spectaculaire. Entre 10 et 20 000 manifestants venus de tout l'Hexagone (…) Les habitants, agriculteurs pour la plupart, regardent passer, incrédules, ces "chevelus", l'oeil inquiet pour les moissons qui risquent de prendre du retard. Surpris aussi, et quelquefois curieux, devant tous ces journalistes, micros et objectifs pointés vers l'événement qui s'empressent de les questionner. La plupart ne savent pas ce que "surgénérateur" signifie ... un projet EDF, sûrement. Des emplois, peut-être ...
Le 31 juillet 1977 au cours d'une manifestation contre Superphénix à Creys-Malville, un homme, Vital Michalon meurt lors des affrontements avec les forces de l’ordre :
Le 31 juillet 1977, la violence fait basculer dans le cauchemar un rassemblement qui se voulait " pacifique et non-violent ". (…) Le 31 juillet 1977. la non-violence a échoué. Le bilan est lourd. Trop lourd. " Un mort et une centaine de blessés", comptabilise Le Monde. Vital Michalon, ce jeune homme de 31 ans, originaire de Die, adepte de la non-violence, est mort parce qu'il manifestait son opposition à Superphénix... assis. "Crise cardiaque" annonce immédiatement le préfet de Isère, René Jannin, repris le soir même sans plus de réserves par le 20 h d'Antenne 2. L'autopsie conclut finalement à une mort causée par des "lésions pulmonaires du type de celles que l'on retrouve lors d'une explosion". En d'autres termes, causées par le souffle d'une grenade offensive.
Tous ces événements n’empêcheront pas le Superphénix de commencer à produire de l’électricité à la fin de 1985. Le 8 mars 1987, une avarie sur le barillet heureusement sans conséquences radiologiques sur l'environnement pour les Européens entraîne une mise à l'arrêt de la centrale pendant près de deux ans.
Des péripéties qui ne dissuadent pas le Gouvernement français d'envisager dès l'automne 1993 le redémarrage du SuperPhénix. En huit ans et demi, la centrale n'a fonctionné que six mois, performance modeste qui, ajoutée au changement d'affectation du réacteur, lequel avait déjà coûté plus de quarante milliards de francs français, commencent à inquiéter certains des partenaires étrangers de la NERSA, à savoir les Allemands, les Belges et les Néerlandais, les Italiens paraissant moins inquiets de l'aspect budgétivore de l'entreprise. Néanmoins, à l’été 1994, le Premier ministre Edouard Balladur signe les décrets autorisant ledit démarrage.
En 1997, le 19 juin, Lionel Jospin, premier ministre de la "gauche plurielle" annonce l’arrêt définitif de SuperPhénix. Habilement présentée comme une concession à Dominique Voynet, ministre de l’Ecologie, et à ses alliés Verts, cette décision permet d’une pierre trois coups : d’enrayer une hémorragie financière ; de flatter les dirigeants Verts et leur séquelle en leur faisant croire à leur importance ; de détourner sur eux l’ire de tous les électro-poujadistes d’EDF, du CEA, et des entreprises sous-traitantes, syndicats et partis confondus, du PC au Front National.
Epilogue (ou presque pas tout à fait) : Trente ans plus tard, la défaite continue. SuperPhénix, outre de multiples ravages et un sacrifice humain, aura coûté 10 ans de construction et 25 ans de déconstruction pour 53 mois de fonctionnement entre 1986 et 1996. Cependant les 9 ou 10 milliards d’euros engloutis dans cette pyramide éphémère n’auront pas été dépensés en vain. Ils auront alimenté le comité d’entreprise d’EDF, financé des emplois, des taxes professionnelles, la croissance, le Produit National Brut. (…) Mais l’héritage de SuperPhénix ne se borne pas à une poignée de cours de tennis et de salles polyvalentes dans le canton de Morestel.
Au terme de sa déconstruction, le surgénérateur mort-né laissera un tas de 70 000 mètres cube de béton pétris de 5500 tonnes de sodium. Seul moyen de neutraliser une substance spontanément inflammable à l’air libre. Et une piscine de 14 tonnes de plutonium, produit ultra-toxique et radioactif de la réaction nucléaire. L’inhalation d’un milligramme de plutonium suffit à provoquer un cancer et sa période de demi-vie est de 24 000 ans.
Le véritable héritage de SuperPhénix c’est la nécessité de conserver un corps de spécialistes et de militaires pour surveiller et traiter ces déchets, et ceux de toutes les autres centrales, pendant des milliers d’années. C’est-à-dire, peu ou prou, un appareil d’Etat.
Plogoff
En 1975, un accord de principe est pris entre les conseils généraux et le Conseil économique et social pour la construction d'une centrale nucléaire en Bretagne. Le site de Plogoff est retenu par le Conseil économique et social et le conseil général du Finistère en septembre 1978. Le 30 janvier 1980, les dossiers pour l'enquête d'utilité publique sont réceptionnés à la mairie de Plogoff, devant laquelle ils sont brûlés l'après-midi même. Le 31 janvier 1980, l'enquête d'utilité publique débute à Plogoff, elle est assurée dans des camionnettes faisant office de mairies annexes. Des manifestations violentes ont lieu. En mars, 50 000 personnes manifestent à l'occasion de la clôture de l'enquête d'utilité publique. Le 24 mai, 100 à 150 000 manifestants fêtent la fin de la procédure, 50 à 60 000 restent pour le fest-noz qui clôture la fête.
Le 10 mai 1981, François Mitterrand élu Président de la République décide l'abandon du projet. La mobilisation populaire que ce projet a déclenchée et les manifestations ont abouti à son abandon. Pour l’une des premières fois, les habitants d’une petite commune ont réussi à faire plier un projet d’aménagement “d’intérêt général” porté par l’État.
Maigre lot de consolation quand on observe ce qui se passe chez nos voisins européens :
La sortie du nucléaire civil est mise en place en Autriche (1978), Suède (1980), Italie (1987), Belgique (1999) et Allemagne (2000), et elle a été discutée dans de nombreux autres pays. L'Autriche interdit l'utilisation de l'énergie nucléaire dans sa constitution. Les Pays-Bas et l'Espagne ont des lois qui interdisent la construction de nouvelles centrales nucléaires. En France on attend toujours un débat public sur le thème. Au lieu de cela, la France s’enfonce de plus en plus dans la logique du presque tout nucléaire.
EPR normands
La dernière mobilisation concerne l’implantation d’un réacteur EPR à Flamanville dans la Manche. 20 000 manifestants à Cherbourg en 2006, plus de 60 000 à travers toute la France en 2007. La construction démarre fin 2007. Elle révèle vite des surcoûts de construction, des retards de chantier dus entre autre à un manque de rigueur dans la construction. Ceci n’empêchera pas le président de la République, au mépris une fois de plus de toute concertation, de l’implantation d’un deuxième réacteur EPR à Penly, près de Dieppe. Avec déjà plus de 6 réacteurs sur le territoire normand, il est des jours où j’aimerais être bretonne, ils m’ont l’air plus résistants ! Pour mettre un terme à cette périlleuse affaire, je doute de la résolution des populations comme à Plogoff mais je reste optimiste en tablant sur l’hérésie économique que cette entreprise représente.